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Maître Toile : Laurent Giroux

 

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Recomposition d'une vie sociale

 

 

Résumé

Ces travaux comparent les transformations de représentations sur la retraite (SOFRES) et de comportements (CREDOC), respectivement des jeunes retraités et de l'ensemble de la population depuis 20 ans. Ceci contribue à comprendre les changements dans les désignations sociales passant d'une condescendance bienveillante à des termes tels que "nantis". Nous interrogeons alors les transformations à attendre dans l'exercice des solidarités dont pourra bénéficier la prochaine génération de vieillards. Il devient ainsi urgent de revisiter les objectifs d'une politique sociale statique (le maintien) pour une population en pleine transformation aux caractéristiques dynamiques. Cette politique sociale restrictivement définie par l'espace (le domicile) et le temps (le plus longtemps possible) omet de s'interroger sur les aspirations à une vie sociale des nouvelles générations, en rupture avec les anciens comportements de "retraite-repos".

 

Renouvellement de la pertinence d'un objet d'étude

Dire que les retraités ont transformé leurs comportements depuis deux décennies est devenu une banalité. La création d'un outil standardisé de recueil de l'information sur les opinions et comportements de la population de plus de 50 ans par le CREDOC[1], dès le début des années 80, illustre la constitution croissante des retraités comme objet d'étude pertinent. Quelques années auparavant, A.M.GUILLEMARD[2] avait initié ces objets d'étude dès la fin des années 60. Aussi, faire de la retraite ou de la population dite âgée, un objet de recherche ne se justifie plus en référence à l'émergence ou une croissance démographique[3] déjà ancienne de ce groupe. Alors pourquoi parler de ce groupe sur lequel il semblerait que tout soit connu : plus nombreux, plus consommateur et surtout, tellement plus impliqué socialement, qu'aucun gouvernement n'ose aborder le débat sur la question éminemment et doublement matérielle et symbolique du financement des retraites, devant la pression, ou le risque de pression, des syndicats et associations de retraités ?

 

Prendre la retraite pour objet d'étude, trouve un nouvel intérêt social pertinent parce qu'il semblerait qu'on ait assisté, ces dernières années, à une transformation des représentations sur l'âge par l'ensemble de la population. Ce nouveau discours, repérable sous une forme d'"âgisme"[4], construit socialement une opposition entre actifs et retraités, entre chômeurs âgés et jeunes retraités, entre jeunes chômeurs et travailleurs âgés, dès lors qu'il s'agit de répartir le travail, et le fruit économique et social de ce travail entre différentes catégories de la population. Plus concrètement, il peut s'agir d'aborder l'épineuse question du financement de la retraite pour les prochaines décennies et des solidarités à recomposer entre les âges de la vie. Cette transformation semble s'être traduite par une inversion des représentations, ou peut-être par l'émergence d'une nouvelle représentation, sur le nouveau groupe social que constituent les retraités, différente des représentations observées antérieurement sur les "personnes âgées". Les représentations seraient passées de la condescendance à une forme d'exclusion, du droit à la retraite au devoir de retrait du travail, du droit au repos au devoir d'utilité sociale bénévole, tant dans le discours de certaines politiques publiques que dans certaines proses médiatiques. A travers ces transformations, c'est de la place des retraités dans la société qu'il s'agit, des solidarités nouvelles que l'on attend d'eux et des solidarités que leur propre vieillissement appellera. Il importe donc de vérifier que ce discours, ces représentations sur la conception de la retraite, sont portés par l'ensemble de la population. Nous n'entrerons pas dans le débat, peu fertile pour notre objet d'étude, sur la construction de l'opinion par les médias ou la construction du marché médiatique en fonction d'une opinion réduite à l'état de client.

 

Prendre pour objet d'étude les transformations d'un discours sur les travailleurs âgés ou sur les retraités, trouve une nouvelle pertinence dans une période qui a vu croître un discours des politiques publiques sur les relations entre les générations et, contradictoirement, se développer les discriminations formelles sur le critère de l'âge. Il convient donc de s'interroger sur le lieu social des transformations et de confronter les transformations de représentations aux transformations de comportements, respectivement chez les retraités et dans l'ensemble de la population[5] pour tenter de percevoir les dynamiques sociales spécifiques.

 

Cette réflexion sur des transformations de comportements et sur la conception de la retraite des diverses générations, pose également la question des solidarités entre les générations, dans l'ensemble de la société et au sein de la "famille-providence"[6]. Or, les solidarités dont il est question s'expriment de manières différentes, suivant l'âge et le statut des protagonistes. Il s'agit de solidarités, presque exclusivement "organiques"[7], institutionnelles et obligatoires, concernant le financement des retraites par les actifs. Il s'agit au contraire, au moins partiellement de solidarités "facultatives" et non "mécaniques" dès lors qu'il s'agit des relations des jeunes retraités vers leurs descendants, par le don d'argent ou de service de garde de petits enfants, d'entretien ou de bricolage de maison. Le rapport "don - contre don" peut prendre la forme "d'échange social utilitaire" et s'appliquer tout autant, au moins symboliquement, des descendants devenus retraités vers les ascendants devenus vieillards. Nous émettons alors l'hypothèse que l'invention de nouveaux comportements en situation de retraites, dans les nouvelles générations, associée à des contextes économiques et sociaux qui placent les enfants ou petits enfants en situation de demandeurs de solidarités, va transformer, d'une part, les habitudes de relations intergénérations et, d'autre part, les comportements des nouvelles générations de retraités devenus vieillards. Une telle hypothèse conduit à revisiter les objectifs et les moyens des politiques sociales en direction du grand âge. Notre objet d'étude aboutit donc à observer les transformations spécifiques, autour du passage du travail au non travail, qui s'amorcent à 50/59 ans, se confirment à 60/69 ans et produit des affections à 70 ans et plus.

 

Notre propos s'organisera donc en trois parties : les transformations des conceptions de la retraite, les transformations différentielles des comportements selon l'âge et enfin les conséquences sur la gestion publique du grand-âge.

 

Dans une première partie, en revisitant des sondages SOFRES des années 70 et 80, nous montrerons que les conceptions de la retraite se sont transformées plus rapidement dans l'ensemble de la population que chez les retraités, produisant, au début des années 80 une inversion de ces conceptions. Deux éléments de compréhension peuvent être donnés à ce constat. D'une part, on pourrait considérer que les retraités ont produit dans un premier temps une nouvelle conception de la retraite, reproduite par l'ensemble de la population qui, dans un second temps, entraîne les retraités dans un processus de reproduction du reste de la population. Une toute autre interprétation peut être faite, en considérant que ces transformations sont porteuses de sens différents, partiellement autonomes l'un de l'autre. Le deuxième point de vue sera soutenu, en s'appuyant sur une observation des transformations de comportements, respectivement chez chacun des groupes d'âge. Ce sera l'objet du deuxième temps de notre réflexion à partir des résultats récents d'une étude du CREDOC[8]. Nous discernerons les domaines de comportements dans lesquels les transformations se sont affirmées. En effet, des transformations de comportements similaires chez les retraités et dans l'ensemble de la population montreraient une conformité des retraités par rapport à la population, alors qu'une différenciation des indicateurs de comportements dans les deux groupes d'âges, montrerait une spécificité, au moins partielle, des comportements des retraités.

Enfin, ces réflexions nous amèneront à nous interroger sur la pertinence actuelle des politiques publiques de "la vieillesse". Celles-ci ont été conçues à une époque durant laquelle le comportement le plus fréquent d'une population âgée ne disposant que de faibles revenus et n'ayant que peu bénéficié d'un service public d'éducation, était caractérisé par le repos. Ce comportement de repos, de repli sur l'être biologique n'offrait comme perspective que le maintien dans ce qui pouvait rester des conditions de vie antérieures, le plus souvent miséreuses.

Notre problématique se résume donc à ces deux questions : que vont produire sur la grande vieillesse les transformations des représentions sur la retraite ? Comment les politiques sociales peuvent accompagner et agir sur ces transformations ?

 

1) Transformation des représentations sur la retraite.

Condescendance et misérabilisme ont longtemps caractérisé le regard porté sur la retraite assimilée à la vieillesse.

A la lecture de la presse, la désignation sociale des retraités comme des nantis, laisse supposer que, depuis quelques années, c'est le regard de la population sur la retraite qui a pu se transformer. Ce regard est passé d'une reconnaissance du vieux travailleur à "faire valoir son droit à la retraite" a une exigence d'utilité sociale, sous la forme de bénévolat associatif, d'engagement dans la vie municipale ou dans la charge de responsabilités familiales en direction des ascendants comme des descendants. La question centrale devient alors : d'où vient le changement ? Est-ce l'ensemble de la population qui entraîne les transformations chez des retraités qui ne feraient qu'être ce qu'on leur demande d'être ou au contraire, y a-t-il une spécificité des transformations de conception de la retraite chez les retraités ?

Notre travail a consisté à remonter 20 ans en arrière, période qui a vu apparaître les premières "vraies" générations de retraités après l'émergence puis l'obligation des retraites complémentaires qui faisaient suite aux accords Renault de 1956, qui ont donné naissance à la Caisse de Retraite Interentreprises. Elles constitueront donc notre premier repère chronologique jusqu'à trouver la période durant laquelle s'est opéré un rapprochement puis une inversion des représentations, de la population d'une part, et celles des retraités d'autre part, sur la conception même de la retraite.

Pour se faire, nous nous sommes replongés dans une suite de sondages réalisés, pour la revue Notre Temps, par la SOFRES dans les années 70 et 80, auprès d'un échantillon représentatif de la population au sein de laquelle est traitée plus spécifiquement la population retraitée. Durant plusieurs années, la même question sur la conception de la retraite était posée au cours des différents sondages, dans les mêmes conditions[9]. Le sondage apparaît un outil adapté à notre objet d'étude présent, car il permet de mesurer l'opinion et les représentations que les acteurs ont de leurs comportements. En effet, si nous portons notre intérêt sur les retraités en tant qu'acteurs de transformation sociale, nous devons nous préoccuper de ce qui fonde l'action : l'idéologie, les valeurs, les représentations. Le matériel dont nous disposons, présente en outre l'intérêt majeur d'être homogène dans le temps, autant pour ce qui concerne la méthodologie que les questions posées, puisque réalisé par un même institut. Ceci nous permet, d'un point de vue méthodologique de nous livrer à une comparaison dans le temps, d'une part, et entre différentes parties de la population d'autre part.

Nous disposons pour explorer ce thème d'un matériel particulièrement riche, puisqu'à près de 15 ans d'intervalle, la même question et les mêmes propositions de réponses sont formulées.

A la question : "Quand vous pensez à la retraite, est-ce que vous y pensez plutôt comme à:", il est proposé cinq réponses :

1)  - Une période de repos bien mérité après une vie de travail

2)  - Une période de la vie où l'on peut enfin faire toutes les choses qui vous intéressent

3)  - Une période de la vie où l'on est gêné par les soucis de santé

4)  - Une période de la vie où l'on est gêné par les soucis d'argent

5)  - Sans opinion

 

Les réponses sont présentées dans le tableau ci-dessous, d'une part pour les retraités et par groupe d'âge au delà de 50 ans, et d'autre part pour l'ensemble de la population.

Réponses des retraités et des personnes de plus de 50 ans (sources SOFRES)

Quand vous pensez à la retraite, est-ce que vous y pensez plutôt comme à:

 

Une période de repos bien méritée après une vie de travail

Une période de la vie où l'on peut enfin faire toutes les choses qui vous intéressent

Une période de la vie où l'on est gêné par des soucis de santé

Une période de la vie où l'on est gêné par des soucis d'argent

sans opinion

1975

 

 

 

 

 

50 à 64 ans

44

24

16

13

3

65 ans & plus

44

16

26

13

1

CSP:  retraité

44

16

26

13

1

1984

 

 

 

 

 

65 à 74 ans

41

30

19

8

2

75 ans et plus

44

21

25

8

4

65 ans et plus

43

26

22

8

3

1989

 

 

 

 

 

50 à 64 ans

34

40

14

10

2

65 à 74 ans

38

33

20

6

3

75 ans & plus

43

24

25

6

2

65 ans & plus

40

29

22

6

3

CSP: retraité

40

34

19

6

1

retr. - 3 ans

47

42

9

2

0

retr.+ 3 ans

38

32

22

7

1

 

Réponses de l'ensemble de la population

Quand vous pensez à la retraite, est-ce que vous y pensez plutôt comme à:

 

Une période de repos bien méritée après une vie de travail

Une période de la vie où l'on peut enfin faire toutes les choses qui vous intéressent

Une période de la vie où l'on est gêné par des soucis de santé

Une période de la vie où l'on est gêné par des soucis d'argent

sans opinion

1975

54

22

13

10

2

1982

42

30

17

8

3

1984

40

31

18

8

3

1989

37

35

18

8

2

 

Nous pouvons présenter ces résultats sous une forme graphique. Observons d'abord les réponses relatives à la conception de la retraite comme "une période de repos".

On savait qu'au fil des années, la conception de la retraite comme "une période de repos" s'est amoindrie chez les retraités. Elle passe, en effet, de 44% à 40%, et même 38% chez les retraités depuis plus de trois ans, une fois passé le début de retraite conçu comme des vacances et donc du repos. Surtout, on remarque, dans le même temps, que cette conception de la retraite s'est amoindrie de façon plus considérable encore dans l'ensemble de la population, passant de 54% à 37%.

Nous pouvons maintenant observer les transformations comparées relatives à une conception de la retraite comme "une période durant laquelle on peut faire toutes les choses qui intéressent".

Ces sondages montrent que durant les années 70, 22% de l'ensemble de la population avait une conception de la retraite comme "une période durant laquelle on peut faire toutes les choses qui intéressent". A partir des années 80, l'ensemble de la population avec 35% de réponses a cette conception active de la retraite. C'est ce que nous pouvons représenter sous la forme graphique si dessous. Il apparaît en effet clairement que la conception de la retraite comme "Une période de la vie où l'on peut enfin faire toutes les choses qui vous intéressent", double entre 1975 et 1989 chez les retraités, en passant de 16 à 34%.

C'est dire que certaines transformations sociales dont il est question seraient moins le fait des retraités spécifiquement que de l'ensemble de la population. La retraite constituerait ainsi un objet de recherche pertinent, d'une part pour les transformations de représentations des retraités et, d'autre part, en raison d'autres transformations des représentations portées sur eux par l'ensemble de la population.

Ces premiers résultats pourraient laisser penser qu'en fin de compte, c'est moins le groupe des plus âgés que l'ensemble de la population qui a transformé son regard sur la conception de la retraite. Il pourrait s'agir d'une transformation générale de la conception de la retraite, qui ne toucherait les retraités eux-mêmes que dans une moindre mesure. Dans cette hypothèse, les retraités, relégués en dehors de la société, ne feraient que reproduire de façon limitée les transformations qui s'appliquent à l'ensemble de la population. Ils constitueraient alors un groupe d'âge résistant au changement, facilement et trop rapidement qualifié de "conservateur", dans le sens commun[10]. Nous allons voir, en fait, que d'autres hypothèses peuvent être formulées, conformément à l'étude du CREDOC qui montre que les retraités sont, plus que par le passé, favorables à des réformes radicales.

En effet, ces résultats peuvent également contribuer à expliquer que le discours général sur le bénévolat associatif des retraités soit resté pour partie un discours incantatoire, bien relayé dans l'ensemble de la population et moins chez les retraités eux-mêmes. De la même façon, le "déferlement" des retraités sur les mairies, annoncé par certains médias, ne s'est pas produit plus en 1995 qu'en 1989. De même, les récentes mobilisations de bénévoles pour le nettoyage des plages de Bretagne à la suite du naufrage du pétrolier "ERIKA" ont permis à certains médias de remarquer la présence de retraités et de chômeurs, sans pour autant que ce mouvement puisse être qualifié de massif.

Pour autant, ne peut-on interroger les formes multiples et diversifiées de l'action que peuvent prendre les nouveaux comportements d'acteurs ou d'utilité sociale ?

En effet, l'expression d'un refus de la conception d'une retraite "repos", moins fort chez les retraités que dans l'ensemble de la population, appelle deux interrogations :

1)  Une implication en terme d'utilité sociale, de la part des jeunes retraités serait-elle contradictoire avec une tendance générale à l'individuation ? Ou plus précisément la confrontation des deux phénomènes "individuation" et "recherche d'utilité sociale" des jeunes retraités peut elle s'exprimer uniquement par des formes collectives visibles à l'extérieur de la sphère domestique ? en d'autres termes, ne peut-on parler d'individuation sociale ? Cette première interrogation nous amène à ne pas limiter notre réflexion aux seuls indicateurs de conception de la retraite. Nous verrons plus loin que des indicateurs de participation à la vie associative viennent confirmer la forte progression de ce mode de socialisation chez les retraités. Il n'en reste pas moins vrai que d'autres modes de participation, même ponctuelle, nomade ou "zappée", à différentes formes de vies sociales collectives, peuvent compléter l'expression d'un désir de comportement d'acteur voire d'utilité sociale. Parmi ces modes de participation à la vie sociale, on peut noter différents types de consommations.

2)  L'utilité sociale s'est exprimée au sein de familles élargies par les services domestiques aux petits enfants ou aux parents âgés. On peut suggérer que, dans le discours des jeunes retraités, elle se soit exprimée en plus au sein d'une famille conjugale et que la véritable insertion ait été non seulement de vivre ¼ de siècle riche et en bonne santé et sans travail mais en plus, à deux, avec son conjoint. Or, à deux, on s'entretient un sentiment d'utilité, mais le fait d'être à deux n'est pas en soi considéré comme "faire une chose qui intéresse".

 

Ainsi donc, il nous faut admettre que la perception par eux-mêmes des actions multiformes des nouvelles générations de retraités ne puisse être traduite qu'imparfaitement par des indicateurs relatifs à des activités ou l'inactivité sous la forme de "repos".

 

Concernant les perceptions de la retraite par l'ensemble de la population, le déplacement du lieu d'expression de cette utilité sociale de la sphère publique, où elle prend la forme d'activités formelles, associatives ou civiques, vers la sphère privée, ne permet de comprendre qu'imparfaitement la croissance de la conception de la retraite "activité" dans l'ensemble de la population. En effet, des titres à scandale tels que "La France hors d'âge" ou "des retraités nantis" à la Une de quotidiens ou hebdomadaires respectés peuvent nous suggérer une hypothèse différente de celle qu'appelle une première lecture des sondages de la SOFRES. En effet, la formulation de la question "quand vous pensez à la retraite, vous y penser comme à :" ne nous éclaire pas sur l'intention de l'interviewé. S'agit-il, pour le retraité d'une part, et pour l'ensemble de la population d'autre part, d'un constat (la retraite c'est l'activité qui plaît), s'agit-il d'une offre d'activité, d'une demande d'activité ? Le retraité parle-t-il pour lui-même ou pour ceux de sa génération ? Pour la population, s'agit-il aussi d'un constat, d'une acceptation d'un nouveau rôle dans la société ou la famille ou de l'exigence que les retraités s'activent dans la production de service ou la consommation de services qui les éloignent d'une pratique d'assistance si onéreuse pour la population "active", en charges sociales croissantes et en impôts pour le consommateur. L'hypothèse selon laquelle, à travers l'expression "faire toutes les choses qui intéressent", l'ensemble de la population exprime une exigence de service de la part des retraités, en contrepartie symbolique d'un financement des retraites, ne peut être exclu. C'est au moins une hypothèse qui peut sérieusement être avancée, à la vue de certains aspects d'une désignation sociale des retraités comme une population vivant dans une relative opulence au regard de générations plus jeunes victimes du chômage. Or, on sait bien que la question des transferts financiers intergénérationels au sein des familles[11], marque profondément l'organisation des rapports sociaux en son sein, qu'il s'agisse des rapports qui naissent des effets des procédures de récupérations sur les successions, ou des "cadeaux" ou "dépannages" que des grands parents font à leurs petits enfants[12].

C'est à la vérification de cette hypothèse d'une expression d'exigence de service de la part des retraités, que nous allons dès lors nous livrer, en observant, non plus les représentations de la population dans les années 70 et 80, mais en confrontant ces représentations mouvantes à la dynamique de transformation des comportements de différents groupes d'âge. En effet, si les transformations de comportements sont en adéquation avec les transformations de représentations de chacun des groupes d'âges, alors nous pourrons penser que les retraités ne font que suivre les transformations de l'ensemble de la population. A l'inverse, si on montre une transformation autonome des comportements des retraités, nous ne devrons pas pour autant déconsidérer la méthode qui consiste à recueillir les opinions de la population. Nous nous devrons de rechercher, dans l'expression d'une même opinion, des valeurs et des sens différents. Ces opinions n'en demeurent pas moins l'expression de représentations qui contribuent à fonder l'action.

 

Autonomisation des comportements des retraités

Constatant ce rapprochement puis cette inversion des représentations sur la conception de la retraite, par les retraités d'une part et par l'ensemble de la population d'autre part, il nous fallait confronter ces transformations à celles que nous pouvons observer dans différents aspects des comportements de ces populations. Pour se faire, nous avons confronté nos hypothèses avec la récente étude du CREDOC[13]. Elle permet des comparaisons sur 20 ans, entre 1979/1980 et 1997/1998, pour y recenser les indicateurs de pratiques et représentations dont les dynamiques, des retraités d'une part, de l'ensemble de la population d'autre part, convergent ou divergent dans cette période. En effet, des transformations similaires des comportements des retraités et de l'ensemble de la population montreraient une conformité des retraités par rapport à la population. A l'inverse, une différenciation des indicateurs de comportements dans les différents groupes d'âges, montrerait une spécificité des comportements de certains groupes, et peut-être des retraités.

Dans un premier temps, à l'observation des graphes édités par le CREDOC, nous avons été surpris par le nombre de courbes présentant une allure similaire que nous appelons "en dos d'âne", cette forme se visualisant dans les groupes d'âge autour de la retraite. C'est notamment le cas des courbes relatives à des domaines aussi différents que le taux de propriété de la résidence principale et le taux de départ en vacances. Ces deux domaines, on n'en est pas surpris, illustrent la croissance des revenus des nouvelles générations de retraités, investis dans le patrimoine et la consommation immédiate. Il en est ainsi pour de nombreux autres domaines tel que le taux de possession d'une voiture.

Nous percevons ici deux domaines pour lesquels les transformations des comportements sont plus fortes dans les décennies autour de la retraite que durant les autres périodes de la vie. Ceci tendrait à montrer l'autonomisation des retraités dans la construction de leurs comportements, précisant ainsi les interprétations des résultats que nous avons présentés si dessus relatifs aux conceptions de la retraite comme un temps de repos. Si nous n'avions pas une autonomisation ou une spécificité du comportement d'un groupe d'âges, (les retraités pour ce qui intéresse notre objet d'étude), nos deux courbes, correspondant aux deux périodes différentes, se recouvreraient. S'il n'y avait pas de transformation dans le temps, elles resteraient parallèles - dans la mesure où deux courbes peuvent être parallèles - illustrant des transformations similaires aux différents âges de la vie. C'est d'ailleurs ce que nous constatons concernant la courbe relative aux biens immobiliers (hors résidence principale et secondaire). Cette courbe, qui ne concerne qu'à peine plus de 10% de la population, caractérise celle-ci, moins sur le critère de l'âge que sur celui de la possession de patrimoine. C'est aussi le constat que nous pouvons faire, concernant le taux possession de valeurs mobilières avec un écart variant de 8 à 13 points de pourcentage suivant le groupe d'âge, et concernant le taux de possession de produit d'épargne liquide, avec un écart variant de 4 à 6 points de pourcentage, suivant le groupe d'âge, si on met à part la situation spécifique des moins de 30 ans.

Ces résultats sont confortés par des courbes qui n'ont, en apparence, pas la même physionomie en montrant des transformations plus importantes dans les groupes d'âges les plus jeunes, mais dont l'objet spécifique, les "restrictions" sur certains domaines de la consommation, doit amener une lecture en négatif. (la croissance de l'absence de restriction serait plus forte chez les personnes au delà de 60 ans). Nous présentons ici la courbe relative aux restrictions sur les vacances et les loisirs, mais il en est de même pour les autres restrictions présentées par le CREDOC, notamment sur la voiture, les équipements ménagers, les soins de beauté, l'habillement et le logement.

Ces courbes révèlent, en outre, qu'aux âges élevés, des comportements ont une similitude avec ceux de personnes plus jeunes de la décennie précédente, 20 ans auparavant, alors que l'ensemble de la population n'a que peu modifié ses comportements. Le CREDOC montre d'ailleurs le phénomène de génération qui affecte les transformations en œuvre et qui confortent l'idée que nous défendons dans une troisième partie, selon laquelle ces transformations ne seront pas sans appeler des changements dans la conception des politiques sociales du vieillissement, lors de l'arrivée dans le grand âge des générations actuelles de jeunes retraités. Ce sera l'objet de notre troisième partie.

 

En reprenant les données chiffrées et en présentant les graphes en fonction de notre objet d'étude : saisir la dynamique des transformations de comportements, nous avons pu montrer que pour certains domaines de consommation, les populations les plus âgées rejoignent les plus jeunes, mais en fait pour combler ce qui peut apparaître comme un retard à rattraper jusqu'à un maximum peu dépassable et non dépassé par les plus jeunes. Il en va notamment ainsi du taux de possession de voiture :

Enfin, un dernier type de courbe montre très nettement que les retraités, dans leurs comportements ne se contentent pas d'imiter les populations plus jeunes ou de reproduire, maintenir des comportements construits plus jeunes. Tout ce passe comme si, une fois rattrapé un retard dans certaines pratiques de consommation, les transformations se poursuivaient au delà des pratiques et du modèle des plus jeunes. Ainsi, on peut dire que ces nouvelles générations de retraités inventent, de façon autonome, des comportements dans des conditions d'existence que nul autre avant eux n'avait eu l'occasion de connaître dans un statut de "ni vieux ni actif". Il en va notamment ainsi d'un important indicateur de socialisation :"recevoir chez soit au moins une fois par semaine", dans lequel le groupe d'âge pour lequel on constate les changements les plus forts, est celui des 70 ans et plus. Les retraités ne se contentent pas de reproduire un mouvement général de la société ; ils le réinventent au quotidien.

Nous venons donc de voir l'importance des transformations que construisent les nouvelles générations de retraités, dans la réalité de leurs comportements, bien au delà des transformations que connaissent les autres groupes d'âge. Pour autant, nous avions montré préalablement, que les transformations des représentations de la conception de la retraite étaient plus rapides et plus affirmées, au contraire, dans l'ensemble de la population que chez les retraités. Ces résultats confortent notre hypothèse selon laquelle les conceptions de la retraite "comme une période de repos" serait porteuse de sens différents dans les différents groupes d'âge. La mise en perspective des représentations d'une part et des comportements d'autre part, rend ainsi pertinente notre hypothèse selon laquelle les transformations de représentations de l'ensemble de la population cacheraient au moins en partie, le passage d'une acceptation d'un nouveau rôle des retraités, dans le sens de la consommation et de l'utilité sociale à une exigence de nouveaux comportements que révèlent les désignations sociales de "nantis".

 

Interroger les politiques sociales de la vieillesse

Nous venons de montrer que la retraite constitue un objet de recherche pertinent en raison des transformations de représentations et de comportements différentiels chez les retraités et dans l'ensemble de la population. Ces transformations nous apparaissent bien plus importantes à prendre en compte pour penser les politiques publiques à venir, que le seul énoncé des chiffres de la croissance démographique des personnes "âgées".

En effet, les recensements successifs réalisés depuis les années 50 ne permettent pas de montrer un accroissement, aussi élevé qu'il n'y paraît, du nombre des personnes dites "âgées"[14]. Ces recensements ont permis, au contraire, à de nombreux chercheurs de montrer que la transformation majeure de cette fin de siècle est plus l'émergence des "ni vieux ni actifs"[15]. Rappelons qu'il faut attendre les années soixante pour que l'espérance de vie moyenne dépasse l'âge de la retraite[16]. Ainsi, l'intérêt porté à la question de la grande vieillesse se justifie moins par une supposée croissance démographique, que par une recomposition du cycle de vie. Celle-ci est productrice d'une diversification des comportements et représentations du groupe social qui précède : les retraités. Ainsi, pour justifier un intérêt porté à la question de la grande vieillesse, il importe moins de multiplier les études quantitatives sur le nombre de grands vieillards que de s'intéresser aux comportements des retraités d'hier qui deviendront les vieillards de demain. La question centrale n'est donc pas "combien ?" (combien de consommateurs, combien de retraites à payer ..., mais "quoi ?" c'est en répondant à cette dernière question qu'on dépassera la délicate question "combien?". En effet, si on reprend nos courbes en "dos d'âne" du CREDOC, on s'aperçoit que, non seulement les nouvelles générations de retraités ont transformé leurs comportements, mais que ces transformations ont produit des effets sur les populations de 70 ans et plus. Le CREDOC confirme d'ailleurs des études précédentes[17] en montrant le phénomène de génération qui affecte les transformations en œuvre, même si on ne saurait dissocier les effets de période, d'âge et de génération car "l'identification de chacun des trois temps, ... restent inextricables"[18]. La dernière partie de l'étude statistique du CREDOC, permet de constater que les comportements de chaque groupe d'âge décennal se rapprochent de ceux de la génération précédente, 10, voire 20 ans auparavant. C'est dire que ce que nous observons dans les transformations des modes de vie, mais aussi dans les représentations sur ces modes de vie, est durable. Ceci n'est pas sans effet sur les manières de concevoir les politiques sociales pour la grande vieillesse, y compris dans les situations de grande dépendance. On sait par ailleurs[19] que les gains d'espérance de vie se font pour l'essentiel sans incapacité. Il serait donc érroné de concevoir une politique pour un modèle unique de vieillesse dépendante, repliée sur son être biologique, recluse, exclue et supposée sans besoin ni désir de vie sociale.

Il apparaît dès lors, que ces dernières décennies sont moins marquées par l'émergence de la grande vieillesse dénommée "4ème âge" qui, d'ailleurs, existait bien antérieurement dans la noblesse comme dans les "hospices pour vieillards et incurables". Ces dernières décennies sont plus marquées par un développement considérable d'un nouvel "âge" social, qui s'intercale entre la retraite et la vieillesse, et dont l'ampleur, par le nombre, risque d'être utilisée pour activer des conflits et des exclusions sur le critère de l'âge, y compris sous couvert de solidarité. Dans le même mouvement, ces dernières décennies sont également marquées par l'invention de comportements multiformes et hétérogènes qui ont, en commun, de conduire à un refus d'une "mort sociale".

C'est la raison pour laquelle nous avons cherché à caractériser, à qualifier ce groupe social émergent pour qu'il puisse se définir des places dans la société avant qu'il ne soit désigné comme coupable d'une crise des systèmes de retraite ou autres charges d'assurance maladie.

L'observation des comportements que le CREDOC présente statistiquement est, de ce point de vue, instructive dans le débat actuel sur le financement des retraites. En effet, nous avons montré dans les pages précédentes que l'élévation du taux de propriété du logement principal ou secondaire caractérise spécifiquement les générations autour de la retraite. La propriété d'une résidence principale concerne 74% de la population de 60-69 ans en 1998, contre 59% en 1979. Or, ces propriétés, serons transmises, dans 15 à 30 ans, à la génération du "papy-boom". Ainsi, une attitude optimiste, ou la facilité d'une désignation sociale des retraités comme des "nantis", peut faire dire qu'une baisse du montant des retraites[20] sera compensée par un transfert de propriété intergénérationnel et qu'il n'est pas besoins de dépasser le statu quo qui reporte ce débat depuis 15 ans[21]. Nous appelons l'attention sur l'usage de cet indicateur : la différence de 15 points de pourcentage dans le taux de propriété des 60-69 ans est significative pour l'analyse des transformations de comportements, mais demeure bien modeste pour généraliser la situation de richesse d'une population dont le groupe d'âge demeure le plus hétérogène. En effet, même si on peut penser que, par ailleurs, la qualité et la valeur du patrimoine transmis par les 74% de 60-69 ans en 1998 sont plus conséquents que celui des 59% de 60-69 ans en 1980, il n'en demeure pas moins vrai que les enfants - futurs retraités - de 26% de la population de cette décennie se trouvent exclus du bénéfice du transfert de propriété. Ainsi, toutes politiques sociales qui conduiraient à n'agir, directement ou indirectement, que sur le montant des revenus de retraite, conduirait en fait à engendrer des conséquences plus graves encore pour les populations qui ne disposent que de ces revenus, les non propriétaires, qui seront les mêmes populations que celles qui n'auront pas accès aux différentes formes d'épargne ou de fonds de pension. Ces politiques sociales se trouveraient d'ailleurs en contradiction avec les initiatives publiques qui ont pu, dans les années soixante contribuer à l'émergence des retraites complémentaires et qui ont, dans les années quatre vingts, permis la croissance des minima sociaux liés à l'avance en âge. En spéculant trop sur les effets de transferts de propriétés d'une génération, pour compenser les effets d'une baisse des retraites, on risque de contredire la dynamique du changement social en œuvre depuis plus de 20 ans par une reproduction sociale des inégalités, par la distinction d'héritiers sociaux, à l'image de l'héritage économique. Or, force est de constater que si la vieillesse n'est plus, aujourd'hui assimilée à la misère, c'est aussi en raison d'une quasi disparition des très bas revenus, ceux des veuves qui n'avaient pas cotisé, qui existaient jusque dans les années soixante. L'élévation moyenne des revenus des retraités est aussi liée à la disparition d'une assimilation d'une vieillesse miséreuse.

Les chiffres, le plus souvent dramatisés, sur le vieillissement de la population, n'ont d'autres buts que l'autolégitimation des acteurs du champ gérontologique. Il ne s'agit ici nullement de nous distancier de l'action par la désignation d'acteurs plutôt que d'autres, les chercheurs faisant pleinement partie de ce champ. Ces chiffres peuvent aussi opportunément développer, voire créer, des craintes dans la population et justifier le développement ou l'adaptation de produits, financiers ou assuranciels par exemple, pour l'ouverture de nouvelles parts de marché. Les intellectuels ne peuvent, là pas plus qu'ailleurs, s'extérioriser des jeux d'acteurs. Cette recherche de légitimation des acteurs se retrouve bien évidemment dans de nombreux autres champs, mais a pour conséquence de limiter la réflexion sur le contenu de l'intervention publique et sur les pratiques des acteurs, et de stigmatiser le vieillissement comme un "problème", alors qu'on ne trouvera jamais d'autres moyens de prolonger la vie.

Les transformations de comportements et de représentations, des retraités et de l'ensemble de la population, doivent donc appeler une réflexion sur la définition des politiques publiques de la grande vieillesse et de la dépendance : "le maintien ... à domicile ... le plus longtemps possible".

 

Le maintien ...

Nous pouvons penser que l'invention de nouveaux comportements en situation de retraites, dans les nouvelles générations, associés à des contextes économiques et sociaux qui placent les enfants ou petits enfants en situation de demandeurs de solidarité, va transformer d'une part les habitudes de relations intergénérations et d'autre part les comportements des nouvelles générations de retraités devenus vieillards. Une telle perspective conduit à réfléchir sur les objectifs des politiques sociales à venir, en direction du grand âge. Aussi, nous avons vu que des nouveaux comportements d'utilité sociale chez les nouveaux retraités peuvent s'exprimer dans un environnement plus limité que la sphère publique, au sein de la sphère familiale notamment. Or, si on constate de nouveaux comportements par l'ensemble de la population, on ne peut que suggérer la nécessité d'une transformation des politiques publiques du vieillissement qui, par une action au plus près de la personne, vise directement la sphère privée. On peut alors suggérer qu'il faudra, avec l'arrivée dans la grande vieillesse des générations de retraités précoces, concilier le service à la personne considéré comme correspondant à un comportement de retraite repos, avec le refus d'une "mort sociale".

Les transformations, dans les comportements et les représentations, ne peuvent être observées sans la tentation de revisiter aussi une définition statique (le "maintien") de l'objectif de politique sociale, relative à une population ("la population vieillissante") largement caractérisée par le changement de sa situation de santé et, comme nous venons de le voir, par le changement dans son mode de vie, qui ne fait qu'amplifier des changements antérieurs, nés des départs des enfants ou des décès du conjoint et des collatéraux. Or, c'est précisément cette population de "grands vieillards" de demain qui aura vécu, au moment du passage à la retraite, 20 ans avant, les transformations du regard porté sur elle par l'ensemble de la population. Ainsi, on peut penser que des exigences de vies sociales vont s'exprimer, quel que soit le lieu de vie, domicile habituel ou logement en maison de retraite. On peut penser que les futures générations ne se contenteront pas d'un "maintien à domicile" synonyme d'isolement, de retrait de la vie sociale et de privation de liberté.

Nous allons donc énoncer ci-dessous un certain nombre d'observations qui ne peuvent qu'amener à reconsidérer les définitions actuelles des politiques de la vieillesse, niant le caractère extrêmement hétérogène de cette population, y compris à âge civil égal, et surtout le caractère fluent de l'avance en âge des nouvelles cohortes de retraités. Nous suggérons d'engager une réflexion sur ce que pourrait être "une politique des vieillissements" qui prenne en compte les dynamiques des transformations en œuvre dans les manières de plus en plus diversifiées de vivre le grand âge.

 

... dans un espace limité...

Par ailleurs, un développement des connaissances sur les retraités ne peut que produire une interrogation sur une politique sociale de la "grande vieillesse", restrictivemment défini par l'espace et le temps. D'une part, cet espace s'est très largement modifié dans les représentations sociales. Cet espace s'est nomadisé. Même si on est plus souvent propriétaire, on l'est depuis moins longtemps que par le passé, parfois depuis le passage à la retraite. Cet espace, on ne le détient plus d'un parent qui le détenait lui-même d'un aïeul. Cet espace privé est nomadisé par son interférence à un espace public positivement mouvant pour cette génération des "trente glorieuses" qui a pu associer le déménagement à un accroissement de confort et d'espace privé. En effet, la génération des retraités qui auront vécu dans leur enfance le départ du domicile comme une rupture liée à l'exode ou à la suite de bombardement n'est déjà plus celle qui part en retraite aujourd'hui. Ce sera très rapidement encore moins vrai pour les toutes prochaines générations de personnes plus âgées qui auront associé le changement de domicile à une promotion sociale.

Comment, aussi, nier la nomadisation de l'espace quand une personne âgée demeure dans le seul immeuble qui a résisté aux réhabilitations, transformations en ZUP, ZAC et autres zones, de son quartier, qui désormais ne s'appelle plus du nom de son ancienne église, mais de celui de la grande surface ou de la zone commerciale qui y siège en lieu et place.

Remarquons aussi que le rapport à l'espace dépend de ses caractéristiques objectives. Le désir de maintien dans un logement s'exprimera de façon éminemment différente suivant que le domicile est subi ou recherché. Il n'est pas sûr que le maintien à domicile s'exprime de la même façon pour un logement HLM dans un quartier qui a fait la Une de l'actualité par ses pratiques de violence ou ses craintes d'insécurité. Nombre de ces quartiers ont d'ailleurs été vidés de leurs habitants âgés, du moins de ceux qui disposaient des moyens d'un déménagement, souvent pour un logement plus onéreux. Il est aussi le cas des locataires, pour qui l'espace n'est jamais qu'un lieu de passage, soumis à la décision d'un propriétaire au moins autant qu'à la sienne. Ces dernières remarques nous feront émettre l'hypothèse qu'une politique de maintien à domicile est une politique de propriétaire dans un quartier désiré et non subi.

D'autre part, cette formulation de l'objectif de politique sociale ne conçoit pas que les personnes âgées dépendantes ayant élu domicile en maison de retraite ou en service de soins de longue durée puissent disposer d'un domicile. On s'attardera quelque peu sur la dimension symbolique forte, restée inaperçue, de la réforme de l'allocation logement en service de long séjour. L'émergence de l'allocation logement dans les services de long séjour a été l'expression d'une argumentation juridique. Cette réforme nous semble forte de signification sociale, même si cette signification n'est pas remontée à la conscience. Attribuer l'allocation logement en long séjour, c'est, sur un plan juridique et dans les représentations sociales, considérer que cet hébergement définitif est un logement, un lieu où l'on a élu domicile. Au delà de l'intérêt financier qu'elle représente, l'attribution de l'allocation logement aux personnes "hébergées" en service de long séjour constitue de fait une reconnaissance, certes symbolique, du droit au domicile, du droit au logement. La condition d'attribution de l'allocation est liée à l'existence de chambres comportant un maximum de deux lits. Elle demeure donc, encore, bien éloignée des habitudes d'espace, des diversités de mobilier qu'ont acquises les nouvelles générations de retraités.

*     L'intérêt financier pour les familles est cependant demeuré mineur. L'allocation logement augmente les revenus des pensionnaires qui sont déjà intégralement absorbés par le prix de journée.

*     L'intérêt financier pour l'aide sociale départementale a été bien plus grand. Les conseils généraux ont pu faire l'économie de leur intervention pour la part versée par les CAF.

*     L'intérêt financier pour les établissements a été totalement absent. De ce fait, ils n'ont pu engager les travaux nécessaires à la suppression des chambres de 3 et 4 lits. Ils n'ont pas été incités non plus à transformer les "lits" en espaces privés, socialement plus proches de la notion de domicile.

Il y a certes, encore un long chemin à parcourir pour prolonger la brèche ouverte par cette réforme, pour faire reconnaître, en long séjour, un "droit au logement pour les personnes âgées dépendantes", un droit au "maintien à domicile en long séjour" pour des retraités.

Une telle réforme, au moins sur le plan symbolique, nous paraît aller dans le sens d'une adaptation des politiques sociales aux nouveaux comportements des retraités, futurs vieillards de demain.

 

... dans un temps limité.

D'autre part, définir un objectif de politique sociale par le temps, ne paraît pas plus pertinent. En effet, la vie sociale peut changer de forme en fonction de la situation de santé, de la disparition du conjoint ou de collatéraux. Comment alors limiter un objectif de vie sociale en fonction du temps ?

De ce point de vue, comme nous avons suggéré qu'une politique de maintien à domicile peut être une politique de propriétaire, nous pensons qu'elle peut être aussi une politique d'homme. En effet, l'avance vers le grand âge s'accompagne de besoins de service pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie quotidienne. Or, l'écart d'âge de trois ans au mariage, entre les sexes, s'ajoute à un différentiel d'espérance de vie de huit ans entre les hommes et les femmes. Ainsi, une femme peut espérer vivre onze années de plus que son mari. Mais réciproquement, un homme, dans son vieillissement sera accompagné par son épouse qui sera, socialement et médicalement plus jeune que lui, de onze ans, même si le seul indicateur de l'état civil ne note que trois années de différence. Ainsi, le maintien à domicile pour un homme ne sera que rarement synonyme d'isolement. Il aura la garantie d'une présence à ses côtés, à la fois dans un rôle d'épouse, de serveuse et de soignante.

Enfin et surtout, formuler un objectif de vie sociale par l'espace et le temps permet de s'abstenir d'une définition en référence à une vie sociale à laquelle aspirent les nouvelles générations de retraités et, pour eux, l'ensemble de la population. De façon sous jasante, une telle définition associe de façon normative la vie sociale à un lieu de vie et pas à un autre, à un temps et pas à l'autre, au détriment de tous les espaces concernés et de tous les temps concernés. Faire l'économie du questionnement en terme de vie sociale, cela conduit, d'une part, à abandonner l'objectif pour les établissements désignés socialement (et pas toujours juridiquement) pour accueillir des personnes dépendantes. D'autre part, l'économie du questionnement évite d'évaluer l'objectif, tenu pour évidence dans le cas du maintien à domicile. Or, si des termes très forts, excessifs pour la dernière décennie du siècle, tels que "mouroir" ou "ghetto" ont été employés pour qualifier l'hébergement collectif, que dire d'une personne sans enfants, habitant au 3ème étage sans ascenseur, handicapée, vivant avec le minimum vieillesse et n'ayant pour toute visite que celle de l'aide ménagère deux fois par semaine ou celle, mensuelle, de son médecin. Le terme "d'incarcération à domicile" serait tout aussi exagéré que celui de "ghetto", après la publication de l'ouvrage de Véronique VASSEUR, mais ne doutons pas qu'il serait abusif d'associer le maintien à domicile à une vie sociale, sans autre débat.

Le développement récent des normes "qualité", des certifications ISO s'étendent à la gestion de services. Il serait dommage que cette opportunité ne soit pas saisie pour discuter le sens de la norme. L'hygiène, la sécurité, l'aseptisation suffisent-ils à fabriquer de la vie sociale? Considérera-t-on que cet objectif ne relève que du domaine privé alors que l'école pour l'enfant, le travail pour le producteur, constituent autant de lieux de socialisation. De la même façon, peut-on nier que dans certains établissements, des objectifs de vie sociale sont mis en œuvre, au point que les personnes âgées disposent de leur boîte aux lettres, de leur propre mobilier, y compris de leur lit personnel en section de cure médicale comme en service de soins infirmiers à domicile, qu'elles disposent d'une pièce pour recevoir amis et famille y compris pour déjeuner[22] ?

Là encore, la certification ISO peut constituer un levier de transformation sociale, moins pour aseptiser le service de restauration par son externalisation dans une liaison aussi froide socialement que sur le plan sanitaire, mais pour penser la maison de retraite comme un domicile où l'animation ne vise pas un activisme occupationnel mais où l'ensemble des tâches est pensé, conçu et réalisé en référence à chacun des projets de vie sociale des colocataires.

Cette définition de politique sociale, en opposant le "maintien à domicile" à l'hébergement, risque de nier les transformations apportées, après la disparition des hospices, à des établissements qui ont exprimé souvent un objectif de vie social.

On ne sera pas sans remarquer que la définition de l'objectif de "maintien à domicile" par le temps s'est peu à peu construite au cours du 7ème plan sous la forme de "maintien à domicile le plus longtemps possible" dénaturant quelque peu le projet du rapport Laroque qui précisait : "maintenir celles-ci dans leur milieu, dans leur milieu économique comme dans leur milieu social" ([23])..". A l'opposé, le "maintien à domicile le plus longtemps possible" conçoit le maintien à domicile, tant que cela est possible, sur le plan médical[24]. Ce glissement sémantique a deux conséquences. D'une part, il construit le "maintien à domicile", non plus comme alternatif à l'hébergement collectif, mais comme préalable. Il est vrai que la quasi totalité des "pensionnaires" des maisons de retraite et services de soins de longue durée viennent de leur domicile et le plus souvent, bénéficiaient des services de "maintien à domicile". Le "maintien à domicile le plus longtemps possible" n'est alors qu'un "maintien à domicile limité au plus longtemps possible". Si échec il y a, ce n'est donc pas celui de la maison de retraite qui accueille "l'exclu" du "maintien à domicile". Cette situation ne résulte que d'une limitation du "maintien à domicile".

 

Nous remarquerons, contrairement à l'interprétation qu'en fait le CREDOC[25], que la baisse du nombre des réponses à l'indicateur "on se sent bien dans la famille", ne révèle pas exclusivement le maintien d'un intérêt pour les valeurs traditionnelles. Il nous apparaît au contraire, dans les nombreux entretiens que nous avons pu réaliser, que les représentations sur la famille se transforment énormément dans les populations retraitées, d'une part en raison de leurs propres recompositions familiales, sous la forme de divorce, de remariage ou vie maritale après veuvage, mais d'autre part, en raison des modes de vie en pleine transformation, de leurs propres enfants ou petits enfants. Il nous apparaît que l'indicateur "on se sent bien dans la famille", révèle aussi un refus des nouvelles générations de retraités de risquer de se trouver à la charge de leur famille, ce que suppose parfois en partie la mise en place d'un dispositif de maintien à domicile des personnes devenues dépendantes. C'est d'ailleurs comme cela que nous avions interprété, en 1993 les résultats d'une enquête réalisée sur la commune de Sotteville les Rouen par l'Observatoire Régional de la Santé et la fédération CRI.[26]

 

Recomposition d'une vie sociale.

En conclusion de ces réflexions, nous pensons pouvoir réaffirmer la spécificité des transformations qui accompagnent le passage du travail au non travail. Il ne s'agit pas uniquement d'un mouvement général qui affecte les retraités parmi d'autres. La dissonance entre les transformations de comportements et de représentions des retraités et de l'ensemble de la population fourni un élément de compréhension à la désignation sociale des retraités comme des "nantis". D'une part, une telle stigmatisation nous a alerté sur la signification sociale de cette évolution, d'autre part, elle ne peut qu'interroger une politique sociale de maintien à domicile et un système de financement des retraites basé sur la "répartition" fondé sur les solidarités entre les générations. En même temps, ces réflexions relèguent au second plan les problématiques qui se contenteraient de n'interroger que la croissance démographique des jeunes retraités ou des grands vieillards.

Les données chiffrées que nous avons rassemblées révèlent en outre, qu'aux âges élevés, des comportements ont une similitude avec ceux de personnes plus jeunes de la décennie précédente. De ce fait, les comportements que nous notons aujourd'hui dans les nouvelles générations de retraités vont modifier en profondeur les modes de vie des vieillards des années 2010 et 2020. Mais il faut se garder du triple écueil de la certitude, de la généralité et de la fixation du changement social.

Le changement social que nous pouvons noter dans une période, peut ne se vérifier que dans cette période. Ainsi, les nombreuses enquêtes réalisées dans les années 80, nous ont amené à constater la contradiction entre l'expression d'une revendication d'une retraite à 60 ans, et le sentiment de "couperet" que vivaient les préretraités "FNE" à 56 ans et trois mois. Nous avons nous-mêmes observé le cortège silencieux de salariés de l'usine Renault à Cléon (76),rejoignant leurs cars un certain midi de printemps 1983, après qu'on eut annoncé qu'il n'était pas utile qu'ils reviennent le lendemain. La préretraite était évidemment un couperet et plaçait le personnel dans une zone d'incertitude identitaire pour l'avenir : "de quoi vais-je avoir l'air le matin quand ma femme va partir au boulot ?". Celui qui n'était plus ni salarié, ni chômeur, ni retraité, ne pouvait même pas exprimer son désarroi, tant les conditions matérielles (90% du salaire brut) étaient intéressantes et peut-être vécues avec culpabilité dans cette période de montée importante du chômage. Le devoir de partir, "pour laisser la place aux jeunes" était vécu d'autant plus douloureusement qu'il renvoyait à l'obsolescence d'une force de travail, que par ailleurs il sentait bien diminuer depuis quelques années. Les témoignages que nous recueillions alors, dans des discussions informelles ou des entretiens centrés étaient nouveaux. Ils contredisaient l'évidence de la retraite à 60 ans, revendiquée à grand renfort de manifestations par les salariés, à la fin des années 70. Aujourd'hui, les témoignages que nous recueillons ne sont plus exactement les mêmes. Au refus de la retraite "mort sociale" à succédé un désir de retraite "vie sociale". Tout se passe comme si nous étions passés, dans un premier temps, d'une période de refus de la retraite perçu comme un couperet, à une acceptation, "pour faire la place aux jeunes", puis un désir, "faute de mieux", pour échapper au licenciement et au chômage. Les préretraités des années 70, parents des préretraités des années 2000, ont montré une voie à suivre en inventant des comportements et modes de vie pour ce temps libéré, que nul autre n'avait connu dans l'histoire de l'humanité, entre la fin du travail et la grande vieillesse. Il semble que les préretraités d'aujourd'hui, par leurs comportements de consommation ou d'implication dans la vie sociale, savent que la cessation d'activité professionnelle ne signifie pas une "mort sociale", qu'ils ne vont pas passer un quart de siècle à "se reposer". Il nous faut admettre que les témoignages d'aujourd'hui différent de ceux d'hier. Pour les retraités d'hier, la retraite était perçue comme la fin d'un "travail vie sociale", malgré la pénibilité des tâches. Aujourd'hui, des salariés de moins de 60 ans sont heureux, moins de quitter le travail, que d'accéder à un nouvel investissement social que l'on entrevoyait, même de façon minoritaire, dans des structures associatives[27], et que le CREDOC constate aujourd'hui avec force en montrant une croissance de l'adhésion à des associations. Ce constat, bien évidemment, ne contredit pas un investissement en dehors de structures formelles. Une erreur serait donc de considérer qu'un changement s'est produit et que les choses sont désormais figées. Une autre erreur consisterait à considérer qu'un changement s'est produit, dans une période transitoire aux caractéristiques spécifiques, et qu'une fois dépassé cette période, on retrouve les comportements qui prévalaient antérieurement. La transition permanente dans laquelle nous sommes, appelle une remise en cause permanente de nos découvertes d'hier.

Il en va ainsi des représentations sur la retraite autant que de la définition des politiques sociales de la vieillesse des années 60 qui pourtant constituaient un immense progrès au regard des nombreux hospices[28] qui, dans un état de délabrement social, jonchaient le sol français. C'est ainsi, que notre interrogation sur la pertinence d'une définition d'une politique sociale par l'espace et le temps et par le maintien, pour une population aux comportements largement mouvants, ne peut être assimilée à une nostalgie de l'hospice, ni même à un choix préférentiel pour les structures d'hébergement collectif aussi confortables qu'elles puissent être. Il s'agit tout au contraire de montrer que le choix de l'un ou de l'autre de ces espaces de vie constitue une alternative inopérante, tant il est vrai que l'un et l'autre sont conçus complémentairement en ne laissant que l'illusion d'un choix. C'est ainsi, qu'il nous semblerait préférable de définir un objectif de politique publique, d'une part, en fonction d'un projet de vie sociale, et d'autre part, en tenant compte de la dynamique individuelle et sociale de l'avance en âge qui caractérise cette période de la vie. Ainsi, substituer un objectif de "soutien à une recomposition d'une vie sociale" à l'objectif actuel de "maintien à domicile le plus longtemps possible", nous semble propice à interroger la réalité de la vie sociale que portent les services sociaux, à domicile ou au sein d'établissements d'hébergements collectifs.

Il nous faut enfin nous garder de l'écueil d'une généralisation. Les vieillards ne sont pas tous des hommes, propriétaires, riches et en bonne santé. On sait qu'aujourd'hui, "la moitié des personnes âgées et seules vit avec moins que le SMIC"[29]. Il n'est de groupe plus hétérogène que celui du grand âge et aucune réflexion sérieuse ne peut être envisagée à la seule lecture de statistiques et de moyennes généralisantes. Montrer la logique commune du "maintien à domicile le plus longtemps possible" et du "placement en maison de retraite" relève de la même attitude intellectuelle que celle que nous avions précédemment en parlant de d'individuation collective des pratiques sociales pour dépasser l'évidence et l'apparence des contradictions entre l'individuel et le collectif. Cette même attitude intellectuelle de recherche des "fausses" contradictions permet d'explorer les débats plus généraux qui traversent la société. Il en est ainsi, de la cohabitation de formes de normalisations collectives de modes de vie avec une diversification des comportements. L'acceptation puis la légalisation de comportements tels que l'homosexualité, encore considérée comme un crime puis un délit il y a peu, illustre la tolérance croissante à l'égard de comportements désignés comme déviants jusqu'alors.

De même, la multiplication de lois et règlements coercitifs constituent autant de normes érigés en modèles. Cette attitude intellectuelle peut être tout aussi féconde dans le débat qui oppose des "néo-libéraux" et des "néo-étatistes", par exemple, sur la question du financement des retraites. Nous avons en effet assisté à l'implosion d'un étatisme qui s'est immiscé dans les moindres recoins de la vie quotidienne et a été incapable de laisser se jouer des marges de libertés. De même la décomposition de l'Etat en tant que pouvoir de décision, s'accompagne d'un développement d'un arsenal juridique et de contraintes, dans le procès de production, qui touche les moindres interstices de la vie quotidienne, de façon coercitive.

Ainsi, le travail du sociologue, même s'il ne peut prétendre être dégagé des enjeux politiques de courts et moyens termes est, avant tout d'explorer les significations sociales et de définir, pour les explorer, les interrogations pertinentes de l'action et de faire en sorte que les agents deviennent acteurs de leur propre histoire de vie en s'éclairant de ces questionnements. Ainsi, s'il nous apparaît que la vraie question, aujourd'hui sur le dispositif gérontologique n'est pas entre le maintien à domicile et l'hébergement, c'est parse que l'un des termes de ce qui est présenté comme une contradiction, est, en fait, un non-choix. La question fondamentale du pouvoir de décision est évacuée de cette alternative, puisque l'un des termes est conçu comme succédant à l'autre, une fois atteint le plus longtemps possible. Cette question n'est pas moins extrapolable à une réflexion plus globale sur la société, en interrogeant là aussi le lieu de décision, le lieu de régulation. Il n'est pas illégitime, de ce point de vue, de poser la question du lieu de décision, dans le transfert de celui-ci, d'une sphère dite "publique" caractérisée par la délégation de pouvoir à des acteurs de l'Etat vers une sphère privée où règne, bien qu'avec des variantes, une forme de suffrage censitaire tout aussi admis socialement aujourd'hui que dans le moyen âge féodal.

 

 

Daniel REGUER

IUT, Université du Havre

Centre Interdisciplinaire de Recherche en Transport et Logistique.


 


[1] CREDOC, enquêtes annuelles sur les "conditions de vie et les aspirations des français", de 1979 à 1998.

[2] GUILLEMARD A.M. " La retraite, une mort sociale" Mouton 1972

[3] J. Daric, vieillissement de la population et prolongation de la vie active, PUF, Paris, 1948 et P. Vincent, La mortalité des vieillards, Population, 1951, N°2 P181

[4] On ne sera pas sans remarquer une confusion entre la notion d'âge et de statut de retraité. Le terme "âgisme" est employé ici, en raison d'une absence de vocabulaire spécifique caractérisant une hostilité sur le critère du statut de retraité qui créerait une notion de "retraitisme". Le terme "âgisme" est, en outre, employé ici, en raison du fait que ce statut de retraité tient son existence même d'une forme d'âgisme, puisqu'il est défini en référence à un critère d'âge; que celui-ci soit une discrimination "positive" lorsqu'il fait valoir un droit à une pension à taux plein à 65 ans pour certains métiers au début XXème siècle ou une discrimination "négative" lorsqu'il exclut du droit au travail à 50 ans pour d'autres métiers dans des périodes plus récentes.

[5] Pour autant, la discrimination dont il est question sur le critère de l'âge, s'applique au domaine du travail et plus précisément à la frontière du travail et du non travail. C'est la raison pour laquelle, l'emploi du terme senior ne nous paraît pas approprié, tant il risque de désincarner ce groupe d'âge de la condition de travailleur ou d'ancien travailleur qui le caractérise et dans le cadre de laquelle il s'est construit ses propres comportements et représentations, ses propres perceptions de l'autre et en fin de compte, ses propres discriminations positives ou négatives.

[6] F.Lesemann,C. Chaume, "Familles-providences, la part de l'Etat", Groupe d'analyse des politiques sociales, Université de Montréal, Ed Saint Martin, 1989

[7] Pour reprendre les catégories de Durkheim

[8] Berthuit F., Chokrane B., Hatchuel G., "L'évolution des opinions et des comportements des seniors depuis vingt ans en France - Une approche statistique", Cahier de recherche N°129 Juin 1999

[9] Sondages SOFRES (1975):

Les enquêtes sont réalisées à l'échelon national en juin 1975, en divisant le territoire en strates, de telle sorte que l'on obtienne un échantillon représentatif (2000 individus). A l'intérieur de chaque sous-strate, un tirage au sort systématique est effectué.

   Sondage SOFRES (1984):

Ce sondage est effectué en avril et mai 1984 auprès d'un échantillon représentatif de 1167 personnes âgées de 50 ans et plus dont 512 femmes suivant la méthode des quotas.

   Sondage SOFRES (1987):

Il est réalisé du 1er au 12 octobre 1987, auprès d'un échantillon national de 2000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) et stratification par région et catégorie d'agglomération est également employée.

[10] Nous avons montré dans des travaux antérieurs, à travers la mise en place de la Convention Ville-Habitat de la commune de Sotteville-les-Rouen, par quel processus des stratégies d'acteurs pouvaient s'exprimer au pri d'une désignation sociale des retraités comme une population à charge et résistante au changement.

[11] C. de Barry, D. Eneau et J.-M. Hourriez, "les aides financières entre les ménages", INSEE-prmière,N°441, 1996

[12] S. Paugam et J.P. Zoyem, "le soutien financier de la famille : une forme essentielle de solidarité", Economie et Statistique, N°8-9-10, 1997

[13] Berthuit F., Chokrane B., Hatchuel G., "L'évolution des opinions et des comportements des seniors depuis vingt ans en France - Une approche statistique", Cahier de recherche N°129 Juin 1999

[14] REGUER D., "transformations des comportements et dispositif gérontologique", presses universitaires du septentrion, avril 1997.

[15] Anne Marie GUILLEMARD

[16] Colloque national de démographie, "les âges de la vie". Tome1. acte du colloque, PUF 1982

[17] C.ATTIAS DONFUT "sociologie des générations", PUF 1988

[18] ATTIAS-DONFUT C. "Générations et âges de la vie", Page 118 PUF 1991

[19] J.M. ROBINE, P. MORMICHE, E. CAMBOIS, "L'évolution de l'espérance de vie sans incapacité à 65 ans", Gérontologie et Société N°71, décembre 1994.

[20] Différentes techniques peuvent être employées :

*      Cessation anticipée d'activités professionnelles sans "carrières pleines"

*      Allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une "retraite à taux plein"

*      Limitation de la valeur du point,

[21] Michel Rocard, 1er ministre, avait alors déclaré que la question des retraites ferait tomber une dizaine de gouvernements.

[22] Il serait bien trop long d'énumérer le détail des nombreuses idées que les responsables d'établissement, directeurs, animateurs ou infirmières ont pu expérimenter et mettre en œuvre depuis 20 ans.

([23]) Rapport LAROQUE p 262 Haut Comité Consultatif de la population et de la famille : "Politique de la vieillesse", La documentation française 1962

[24] Dans une étude sur les orientations à l'issue d'un service de maintien à domicile, nous avions montré que les limites du maintien à domicile étaient plus d'ordre social.

[25] Graphique 26 p 48

[26] Villet H, Thomas H, Reguer D, Guillemard A.-M., Paris C, Etude "santé, autonomie, modes de vie, logement », Panorama des travaux des Observatoires Régionaux de la Santé, ORS Haute-Normandie, Fédération CRI, CCAS de Sotteville-lès-Rouen, mai 1993.

[27] LEGRAND M. "préretraite et vie associative", in La vieillesse : l'enjeu ? , Les cahiers de la recherche sur le travail social, Université de Caen, N°15, 1988.

[28] C. BERNAN, "les vieux vont mourir à Nanterre", Ed. du Sagittaire, 1978.

[29] Revue "Contours et Caractères" sur "les personnes âgées" page 132, publiée par l'INSEE en 1990

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